L’éloge du masque ou Haut les masques
En cette période de crise sanitaire et de port du masque obligatoire, je me suis interrogé sur la signification de cette nouvelle contrainte. Un coach professionnel n’avance en principe pas « masqué » vis à vis de son coaché et pourtant le sens du secret et savoir ne pas être toujours complètement lisible peut constituer un espace d’expression plus libre pour laisser plus de place au coaché.
[…] Tout esprit profond a besoin d’un masque. Je dirai plus encore : autour de tout esprit profond grandit et se développe sans cesse un masque, grâce à l’interprétation toujours fausse, c’est-à-dire plate, de chacune de ses paroles, de chacune de ses démarches, du moindre signe de vie qu’il donne.
Nietzsche Par de là le bien et le mal
En cette période de crise sanitaire, en plus des gestes barrières et de la distanciation sociale (oh le vilain mot, je préfère 100 fois parler de distanciation physique), le port du masque est devenu obligatoire dans pratiquement tous les lieux publics. Et combien il est utile de le porter pour limiter la transmission du virus !
C’est clairement quelque chose de pénible à supporter, on respire moins bien, on communique moins bien, on ne discerne plus les traits du visage (sinon les yeux) de son interlocuteur. Et nous serons tous plus heureux le jour venu de nous débarrasser joyeusement de ces masques. Sans parler des sourds et malentendants pour lesquels la lecture sur les lèvres devient impossible avec un masque.
Le masque fait partie, avec d’autres contraintes, des injonctions qui nous privent de liberté, et si nous les transgressons nous pouvons être punis.
Et puis au hasard d’une lecture je tombe récemment sur ce texte de Nietzsche qui nous fait réfléchir à l’intérêt du masque sur le plan symbolique et philosophique, j’ai trouvé intéressant de creuser la question au travers des cultures et de l’histoire, et de replacer le masque dans la question du secret du secret.
La contrainte du masque ne peut-elle pas constituer une opportunité ?
Avec l’arrivée du masque dans nos vies, chacun d’entre nous imagine un autre monde : un monde plus froid, sans interactions sociales ni émotions. Mais l’espace public était-il, avant le masque, aussi convivial que ça ?
Cette dernière question est assez large (elle a été évoquée par une chronique de Géraldine Mosna-Savoye il y a quelques temps sur France Culure) ; il s’agit autant de savoir comment chacun d’entre nous va s’en accommoder, que de découvrir ce qui va être bouleversé dans nos rapports sociaux. Comment appréhender l’autre quand son visage est à moitié caché ? Que révéler de soi quand il ne reste que son front, ses sourcils et ses yeux, et plus son éventuel sourire ?
Au fond, un des enjeux est là : il s’agit de savoir comment interagir quand on ne peut plus totalement compter sur ses expressions faciales. Avec une crainte majeure : que nos rapports se compliquent et deviennent même impossibles. Et c’est vrai, comment, par exemple, apaiser une relation sans un sourire ? Comment exprimer son scepticisme sans une bouche pincée, ou sa colère sans montrer qu’on serre les dents ?!
Mais je me demande : nos relations, jusque-là, étaient-elles si faciles que ça ? Un sourire suffisait-il vraiment à désamorcer une situation ? Et d’ailleurs, est-ce qu’on souriait, est-ce qu’on se souriait tant que ça ? C’est comme si tout à coup, bizarrement, les masques nous dévoilaient que nos visages étaient là, visibles, totalement offerts à l’autre… mais là est ma question : était-ce tout à fait le cas ? Étions-nous si visibles et lisibles que ça sans nos masques ? Notre visage découvert n’était-il pas déjà masqué ?
Nous connaissons les raisons du port du masque (pour faire face au virus) tout en le craignant (pour nos relations sociales), il faut reconnaître que celui-ci a également un autre mérite paradoxal : celui de nous révéler, par la dissimulation qu’il implique, l’état de nos rapports aux autres… mieux, il a le mérite de nous révéler ce qu’on en attend, l’état rêvé de ces rapports sociaux, leur état idéal, idéalisé en tout cas de ce qu’ils étaient ou devraient être.
Et en effet, à écouter les inquiets du masque, on a l’impression que c’était mieux avant : avant l’épidémie, la distanciation physique et les gestes barrières, paraît-il qu’on était proches, accessibles, disponibles.
Pourtant, quand j’y pense, je dois dire que je n’ai pas tout à fait le même souvenir : je n’ai pas le souvenir d’avoir souri tous les matins en entrant dans le métro, ou au contraire, tout le temps, fait la tête. J’étais, je crois, surtout le plus souvent impassible, indifférent, perdu dans mes pensées… même chose dans la rue ou dans un magasin, tout occupé à moi-même.
Et le constat vaut pour beaucoup d’entre nous : je n’ai pas non plus le souvenir de mines réjouies ou spécialement tristes dans les lieux publics, juste le souvenir de mines, de visages, d’yeux, de bouches et de joues. Mais pas d’expressions invitant à l’échange. Paradoxalement, je suis même plus attentif à m’exprimer ou à tenter de déchiffrer l’autre, aujourd’hui avec le port du masque que sans… je suis plus soucieux de ne pas passer à côté de quelque chose ou quelqu’un. Je trouve d’ailleurs assez touchant d’essayer de percevoir une expression seulement dans le regard.
En étant un brin provocant j’irai jusqu’à dire pourquoi tant d’inquiétude si non seulement, ce n’était pas mieux avant, mais si c’est peut-être même mieux maintenant ?
Au fond, je me pose la question : si ce n’était pas mieux avant, si nos interactions sociales n’étaient pas idéales, et si l’épidémie peut nous pousser à être plus attentifs aux autres, à développer d’autres biais pour s’exprimer, qu’est-ce qui fait alors tant peur que ça dans le masque ? Est-ce le côté aseptisé de l’objet ? Est-ce la distance spatiale ? Est-ce la dimension inaccessible des uns et des autres ? Ou alors, peut-être est-ce l’idée de dissimulation ? J’ai l’impression qu’on respecte plus facilement les distances spatiales depuis qu’on porte des masques. Je me rappelle les toutes premières phases de l’épidémie en France, limitées aux gestes barrière : c’était bizarre de rester à 2 mètres d’autrui sans aucune autre modification dans le paysage visuel. Tandis que les masques viennent valider, confirmer dans notre champ visuel, à chaque instant, la nécessité de garder nos distances (alors même qu’on pourrait s’approcher, puisqu’on porte des masques). Je trouve que nous sommes un peu fétichistes : si tu me demandes de rester à 2 mètres à cause d’un virus invisible, je suis sceptique et j’oublie. Si tu me demandes de rester à 2 mètres d’une personne masquée, je trouve ça plus logique et facile à respecter : « puisque la personne a un masque, il y a donc un danger » …
Refus du secret et amour de la transparence
Il apparaît, à travers le rejet du masque, qu’il n’y a rien de pire pour beaucoup de nos concitoyens que ce qui semble secret, caché, occulté.
Sauf quand ça nous arrange : nous sommes plutôt contents de ne pas avoir la transparence totale sur l’origine du cacao dans nos tablettes, ni la biographie du porc dont on en achète un bout au supermarché.
Il y a certes des désirs de transparence forts chez certains, et la transparence comme objectif pour guider l’action publique, par exemple, me semble saine.
Mais je ne suis pas sûr que les gens aient tant de mal que ça à accepter l’opacité. Certains diront « de toute façon, si c’était transparent, on ne comprendrait rien », d’autres : « si c’est dans l’intérêt de mon pays, je peux accepter le secret défense », et d’autres : « les journalistes vont trop loin, aujourd’hui on a des procès pour trois fois rien… ».
Beaucoup se diront que s’ils étaient transparents avec le fisc, ils paieraient plus d’impôts, d’autres, que si l’on pouvait lire dans leurs pensées, ça ne serait pas triste. Nous avons chacun une expérience intime des mérites de l’opacité.
Pourquoi cette difficulté à accepter chez l’autre cette opacité qu’on se réserve allègrement pour nous-mêmes ?
Pourquoi se scandalise-t-on du manque de transparence à certains moments bien précis, alors que nous choisissons de demeurer dans l’opacité à d’autres moments ?
Le scandale vient de ce masque qui montre qu’on ne montre jamais tout. D’où cette autre question : pourquoi cette difficulté à accepter que la transparence soit une chose impossible, et même pas souhaitable ?
La réflexion de Nietzche vient sur ce point bien à propos : « tout ce qui est profond aime le masque…il y a des phénomènes d’une sorte si délicate, qu’on ferait bien de les protéger sous quelques grossièretés afin de les rendre méconnaissables…autour de tout esprit profond se développe en permanence un masque. » Typiquement, quand on fait une chose par pure gentillesse, on aime prétendre, souvent sur la forme de l’humour, qu’on le fait par intérêt :
– merci d’être venu m’aider à peindre le plafond !
– Ne t’inquiète pas, je compte bien t’exploiter à mon tour quand je déménagerai !! (Ce qui est faux : je ne suis pas allé les aider dans l’espoir d’un retour sur investissement… du moins pas sous cette forme). Je ne comprends pas le pourquoi de cette pudeur, mais elle correspond pas mal à la formulation de Nietzsche dans le même passage : « Il est des actions inspirées par l’amour et une générosité sans borne qu’il faut faire oublier en rossant à coups de bâtons celui qui en a été témoin »
Deux citations que j’aime bien font écho à ce propos :
Une du Soljenitsine qui avait connu l’enfer du Goulag : « Notre liberté repose sur ce que les autres ignorent de notre existence ».
Et une plus provocatrice d’Oscar Wilde : « Un peu de sincérité est chose dangereuse, beaucoup de sincérité est absolument fatal ».
Sans compter sur le célèbre « Larvatus prodeo » de Descartes : j’avance masqué. Comment ne pas évoquer l’apparent paradoxe issu de cet aveu explicite : celui qui allait consacrer toute son œuvre à la recherche de la vérité aurait-il usé sans scrupules de stratégies de dissimulation ? L’œuvre de dévoilement des sciences appelée de ses vœux, la nécessité de soumettre toute certitude apparente à l’épreuve du doute sont-elles réellement compatibles avec le port d’un masque, fût-il salutairement légitime ?
Au travers de plusieurs cultures et des époques différentes on découvre tout une série de fonctions différentes des masques.
Le masque, destiné à dissimuler, représenter ou imiter un visage, assure de nombreuses fonctions, variables selon les lieux et l’époque. Simple divertissement ou associé à un rite, œuvre d’art ou produit normalisé, il se retrouve sur tous les continents. Il est tantôt associé à des festivités (Halloween, Mardi gras), tantôt à une fonction (chamanisme, relique funéraire).
Je ne développerai pas les fonctions techniques des masques : masque de protection, de protection, à gaz, à oxygène, médicaux, anti-mouches, de l’apiculteur, masque de plongée ou de combat…
Je m’intéresserai davantage par exemple par exemple aux fonctions esthétiques, culturelles et ludiques du masque.
Au niveau esthétique le masque a inspiré de grands artistes comme Auguste Rodin, Pablo Picasso, Georges Braque. L’utilisation magique et mystique du masque a en particulier inspiré ces artistes. Picasso était particulièrement influencé par l’art africain dans lequel les masques ont une fonction essentielle.
Dans le théâtre grec antique et son héritier le théâtre romain , le théâtre masqué balinais, la commedia dell’arte, le nô japonais utilisent exclusivement des masques.
Dans le théâtre No par exemple il existe 138 figures différentes le masque correspondant à chaque personnage est « rigide », fixe. Dans ce cas, qu’est-ce qui assure dans le théâtre nô l’expression des émotions, que le visage ne peut plus assurer ? On souhaite que le visage réel de l’acteur n’apparaisse pas et soit masqué peut-être car il viendrait parasiter une figure symbolique que tout le monde reconnaît et dont le rôle doit être en quelque sorte sacralisé. Le masque sert non seulement à cacher le visage mais aussi à représenter un autre être, différent de celui qui le porte. Cet être peut représenter tour à tour une force naturelle d’origine divine, un guérisseur ou un esprit, un ancêtre qui revient pour bénir ou pour punir, un esprit de la mort ou de la forêt.
Le masque dans d’autres coutumes permet des licences temporaires qui ne seraient pas possible sans.
Des masques ludiques permettent des licences comme la bauta vénitienne qui en est un des plus célèbres. En cachant son visage aux personnes qu’il rencontre, le masque autorise son porteur à jouer un rôle tout différent de sa propre personnalité, avantage notamment recherché à l’occasion des carnavals et bals masqués. Ils peuvent aller du simple loup aux constructions les plus élaborées, en cuir, en papier mâché, en bois, peints, ornés de plumes et de joyaux. On retrouve cette fonction du masque dans les carnavals de nombreuses coutumes.
Stanley Kubrick a fait une belle représentation de cette fonction licencieuse dans le film Eyes wide shut.
Pierre Lemaître dans son roman « Au revoir là-haut » revient notamment sur les Gueules cassées de la Première guerre mondiale.
Un des poilus au visage complètement arraché refuse vigoureusement les masques que lui proposent les chirurgiens militaires après la guerre : cela lui apparait comme une nouvelle violence, une nouvelle façon pour l’État de conserver la possession de son corps pour y passer ses messages (en l’occurrence : regardez, on s’occupe de nos soldats, on leur donne des prothèses à la pointe de la technologie !).
Je peux choisir mon masque, mais souvent, je porte un masque peint par les autres sur mon visage / on peut considérer que je le peins moi-même, mais en recopiant les autres en fait (par conformisme, mimétisme, désir d’être accepté).
Une fonction plus méconnue est le masque de la honte : Certaines sociétés font revêtir un masque d’infamie à ceux qu’elle veut discréditer, comme une sorte de peine afflictive et infamante, au même titre que le pilori. Schandmaske ou Scold’s bridle, masque de châtiment, d’humiliation publique, particulièrement en Europe de l’Ouest au xviième siècle. C’est le Klapperstein en Alsace.
Sur un plan plus psychologique il est intéressant de s’interroger sur les masques des rôles sociaux que nous adoptons parfois pour incarner un personnage en société. Le mot latin Persona désignait le masque de l’acteur.
Ce masque avait pour fonction à la fois de donner à l’acteur l’apparence du personnage qu’il interprétait, mais aussi de permettre à sa voix de porter suffisamment loin pour être audible des spectateurs : per-sonnare.
Puis il a signifié le personnage ou le rôle. « Personne » et ses dérivés en proviennent. Carl Gustav Jung reprend ce terme vers 1920 pour désigner une instance psychique d’adaptation de l’être humain singulier aux normes sociales.
D’une façon très générale, la persona est le masque que tout individu porte pour répondre aux exigences de la vie en société. La persona donne à tout sujet social une triple possibilité de jeu : « apparaître sous tel ou tel jour », « se cacher derrière tel ou tel masque », « se construire un visage et un comportement pour s’en faire un rempart » (Dialogue du moi et de l’inconscient).
Nous prenons un visage de circonstance, nous jouons un rôle social, nous nous différencions par un titre (docteur, professeur, maître, colonel, etc.), autant d’effets de cette fonction psychique que la persona recouvre. Si le sens de « masque » semble porter une connotation négative, en fait la persona correspond à une fonction générale de socialisation dont l’aspect « duperie » est plus l’exception que la règle. « Avancer masqué » ne devrait donc pas avoir de connotation négative : on avance toujours masqué ! Et quand on choisit de se montrer transparent à tel moment, ça peut être une mise en scène !
Qu’est-ce qui me permet d’être sûr de ma sincérité lorsque je tombe le masque ? Ne suis-je pas en train de jouer un personnage qui met en scène l’accès à son intimité, à des fins de séduction ?
S’adapter à la société (« faire sa place au soleil ») est une nécessité qui remplit toute la première partie de la vie humaine. Cette tâche d’intégration sociale exige de chaque sujet un investissement considérable d’énergie. Elle oblige à cacher des pans entiers de la vie intérieure et à laisser en friche une partie des possibilités créatrices de l’individu. En même temps elle permet de développer des capacités créatives collectives. Durant tout ce temps, la persona est d’une importance capitale. Le sujet se doit d’apprendre à maîtriser les structures d’adaptation. Mais l’adaptation, plus ou moins réussie selon les cas, n’est pas, selon Jung, la finalité de la vie psychique. Elle ne représente qu’une condition pour pouvoir, dans la seconde partie de la vie, aller « à la découverte de son âme » (on dirait aujourd’hui devenir soi-même). Pour nombre de sujets sociaux, la « crise des quarante ans » (la « demi-vie » selon l’expression jungienne) est d’abord une crise de la persona ;
Le film Persona d’Ingmar Bergman est largement inspiré du travail de Carl Gustav Jung.
Rogers Caillois écrivain et sociologue né en 1913, dans « les jeux et les hommes » explique ce goût de l’homme de se déguiser, de se travestir, de porter un masque, de jouer un personnage. Au carnaval, le masque ne cherche pas à faire croire qu’il est un vrai marquis, un vrai toréador, un vrai Peau-Rouge (il ne dupe pas) il cherche à faire peur et à mettre à profit la licence ambiante, elle-même résultat du fait que le masque dissimule le personnage social et libère la personnalité́ véritable. L’acteur non plus ne cherche pas à faire croire qu’il est pour de vrai. La règle du jeu est unique elle consiste pour l’acteur à fasciner le spectateur, en évitant qu’une faute conduise celui-ci à refuser l’illusion ; elle consiste pour le spectateur à se prêter à l’illusion sans récuser de prime abord le décor, le masque, l’artifice auquel on l’invite à ajouter foi, pour un temps donné, comme un réel plus réel que le réel.
Un ami comédien me rappelait que deux écoles s’affrontent sur ce point. Et c’est Brecht qui a initié cet affrontement en créant La Distanciation. Oui ce terme surgit avec la pandémie et vient du théâtre.
Donc soit le comédien se regarde jouer et manipule son personnage, et ne cherche pas à faire croire qu’il est pour de vrai… c’est la « Distanciation brechtienne » soit il vit réellement son personnage et là il fait croire qu’il est vrai… c’est la façon antique et première de « jouer la comédie ».
Mais il est intéressant de voir la Distanciation de Brecht croiser les masques pandémiques ou finalement chacun cherche à faire croire qu’il est un bon citoyen surtout masqué, mais qui râle de devoir se voiler la face… pour de vrai.
Conclusion :
Le masque fait partie avec d’autres contraintes du climat à la fois inquiétant et infantilisant dans lequel nous a plongé l’épidémie de Covid 19. Nous sommes soumis à des injonctions qui nous privent de libertés essentielles, et si nous les transgressons nous pouvons être punis.
Certains ont pu voir aussi le masque comme un bâillon destiné à nous empêcher de parler ou de nous révolter : une mesure de contrôle social.
Ce point de vue, répandu, me semble avoir deux limites importantes :
1/ ça pourrait vouloir dire qu’avant la pandémie, on vivait dans une société super ouverte sans systèmes d’oppression et de domination, ce qui est faux (de même qu’on ne se souriait pas tout le temps avant le 15 mars)
2/ il me semble que le masque n’apporte aucun gage de contrôle social supplémentaire aux « puissants », mais au contraire il peut limiter l’effet des systèmes de domination et d’oppression existants : à force de moins prendre le métro, de travailler moins, d’aller moins à l’école (système de domination chargé de reproduire et de justifier les inégalités) de consommer moins, on risque de se mettre à réfléchir !
Plutôt que de gémir nous pouvons inverser la réflexion et être à la fois confiants et inquiets. Confiant car, comme après chaque catastrophe, on est contraint d’inventer une nouvelle manière de vivre ensemble (le masque n’en est qu’un aspect, pourquoi ne pas essayer d’en jouer ?).
Une partie d’entre nous va éprouver la nécessité de se questionner, et si on ralentissait l’économie ? Et si on faisait une agriculture locale ? Et si on mangeait moins de viande ? Puisque ces phénomènes d’hyper consommation et d’hypermobilité sont liés à la pandémie.
On peut également être inquiet car une partie d’entre nous va dire, au contraire, qu’il faut rattraper le temps (l’argent) perdu et remettre en place les processus qui nous ont conduits là.
Pour revenir à Nietzsche, le grand philosophe se serait sans doute abstenu d’entrer dans la polémique. Il aurait rappelé sa thèse fondamentale selon laquelle les valeurs auxquelles nous adhérons, ce que nous appelons le bien et le mal, le vrai ou le faux, se fondent toujours sur des raisons psychologiques personnelles et historiquement datées.
Portons un masque, c’est un geste citoyen mais ne nous voilons pas la face !